L'Abbaye Saint-Michel


Sur la rive droite de la Meuse, à 35 km au sud de Verdun, là où la route qui suit le fleuve vers la Belgique et les Pays-Bas croise la route de Bar-le-Duc à Metz, se dressent l'église et les bâtiments de l'ancienne abbaye bénédictine Saint-Michel de Saint-Mihiel. En France, il n'y a pas tellement d'abbayes dont les bâtiments aient entièrement échappé aux destructions de la Révolution française puis aux deux guerres mondiales. Cette abbaye est la seule à avoir conservé, sur les rayons de sa bibliothèque, une partie importante des livres pour lesquels celle-ci avait été aménagée.


L'abbaye a été fondée au VIIIe siècle, sur un éperon barré, le "Châtillon", sur la rive droite de la Meuse, à quelques kilomètres de l'actuelle ville de Saint-Mihiel, en un lieu qui s'appelle maintenant Saint-Christophe.

La légende veut que cette fondation soit due à une manifestation de la volonté de l'archange saint Michel. Les historiens modernes eux, attribuent cette création à la disgrâce dont fut victime de la part du roi Pépin le Bref un grand seigneur austrasien, Wulfoad (Goufaud). Son domaine fut donné par Pépin le Bref à l'abbaye de Saint-Denis. La nouvelle abbaye fut mise sous l'autorité de l'abbé Fulrad, un sarrois, chapelain de Charlemagne.

Le monastère fut transféré entre 816 et 824 au confluent de la Meuse et d'un de ses petits affluents de la rive droite, la Marsoupe. Le domaine fut entouré d'une enceinte fortifiée, et le village, devenait un "Bourg", lui aussi clos de remparts et de fossés. Ce transfert eut lieu sous l'abbatiat de Smaragde (abbé après 800 jusque avant 830). Il fut, à partir de cette époque, désigné sous le nom de "Sanctum Michael"  Saint-Michel. 

Cour d'honneur de l'abbaye Saint-Michel de Saint-Mihiel au 18e siècle
Reconstitution selon M. Goutal - Reproduction interdite sans l'accord du Service Culturel

L'abbaye quitta l'orbite de Saint-Denis au cours du IXe siècle lorsque Béatrice, fille de Hugues le Grand, épousa Frédéric, futur Duc de haute-Lorraine, et qu'elle reçut en dot les possessions lorraines de Saint-Denis. La ville passa dans l'orbite germanique au XIe siècle. Lors de la querelle des Investitures, l'abbaye se rangea, ainsi que sa "protectrice" la comtesse de Bar Sophie, du côté du pape. L'abbaye tenta, en vain, de se faire rattacher au diocèse de Toul à cette période, de fait, l'évêque de Verdun fit ravager le bourg et l'abbaye de Saint-Mihiel, et il n'en fut désormais plus question.

Cette situation à la limite du diocèse de Verdun et du diocèse de Toul, ainsi qu'à la frontière du royaume de France et du Saint Empire romain germanique, a contribué au développement de la ville de Saint-Mihiel, particulièrement dans le domaine judiciaire car, après le traité de Bruges en 1301, le comte puis le duc de Bar durent se reconnaître vassaux du roi de France pour ses possessions à l'ouest de la Meuse. Saint-Mihiel devint ainsi la ville judiciaire du duché de Bar, là où le duc tenait ses Grands Jours, où il était souverain et où l'appel au roi de France n'était pas possible.


Carte postale ancienne d'une vue de l'abbaye bénédictine Saint-Michel de Saint-Mihiel Meuse Lorraine France

Le XVIe siècle est le grand siècle lorrain. À intervalles réguliers, les princes viennent à Saint-Mihiel : le duc Antoine, le duc Charles III (époux de Claude, fille du roi Henri II). Les armées du roi de France Henri II ont campé à Saint-Mihiel lors de la campagne menée contre Charles Quint en 1551-52. C'est aussi le siècle de Ligier Richier.

Le renouveau catholique et l'aisance de la bourgeoisie de l'époque expliquent l'arrivée à Saint-Mihiel de divers religieux et religieuses : les chanoinesses de St-Augustin en 1601, les Annonciades Célestes en 1619, les Carmélites, les Jésuites en 1625, les Chanoines réguliers en 1643 et enfin les Carmes en 1645. La Guerre de Trente Ans (1618-1648) fut effroyable pour la Lorraine et le Barrois. Saint-Mihiel, siège  de la cour de justice du duché de Bar, fut prise à plusieurs reprises par les troupes françaises et le château fut détruit sur ordre du roi Louis XIII après 1634. Le duc Charles IV recouvre ses états et fait son entrée à Saint-Mihiel en 1666. 

Plan de l'abbaye bénédictine Saint-Michel de Saint-Mihiel en 1791, Meuse Lorraine France

L'abbaye a énormément souffert des guerres, sa restauration commença en 1679 sous l'abbatiat de Dom Hennezon. Cet homme remarquable, sammiellois d'origine, fit construire le Palais disparu. Il orna le logis abbatial, dota l'église de ses grandes orgues et d'un beau mobilier. Il remit en honneur les études. La reconstitution et l'agrandissement de la bibliothèque furent l’œuvre de cet abbé. En 1689, Dom Maillet succède à Dom Hennezon, il rebâtit et agrandit l'église telle que nous la connaissons aujourd'hui. Nous lui devons aussi les boiseries de la sacristie, le couronnement de la tour romane. A l'abbaye Saint-Michel, le goût de la recherche intellectuelle devait persister jusqu'à la Révolution. 

Plan de l'abbaye Saint-Michel de Saint-Mihiel en 1842 après la Révolution française, Meuse Lorraine France
Plan de l'abbaye en 1842
Vue aérienne de l'abbaye bénédictine Saint-Michel de Saint-Mihiel Meuse Lorraine France
L'abbaye aujourd'hui

Porche percé dans l'abbaye bénédictine Saint-Michel de Saint-Mihiel pour une meilleure circulation, Meuse Lorraine France

Comme toute la province, Saint-Mihiel devint officiellement française en 1766. Le 20 mars 1789, les trois ordres convoqués pour l'élection des députés se réunirent dans la grande salle de l'Abbaye. La noblesse elle-même réclamait "la suppression des ordres religieux inutiles". Le 7 mai 1790, deux officiers municipaux entrèrent au monastère pour en inventorier les ressources et préparer la confiscation. Sauf une partie des ouvrages de la bibliothèque, tout devait être vendu ou détruit. Le 7 février 1791, le monastère fut fermé. Le 1er juin, une nouvelle paroisse était érigée et l'abbatiale lui était affectée comme église. Quelques mois après, dans un immense autodafé, fut détruit "tout ce qui rappelait la superstition" ; ainsi disparurent quantité d'œuvres d'art. Un arrêté du 18 novembre 1793 ferma les églises au culte catholique ; on y célébra d'étranges fêtes. L'église Saint-Michel fut baptisée "Temple de la Raison", Mallarmé y tint des séances ; on y organisa des bals populaires.

En 1927, Saint-Mihiel a célébré avec éclat le onze centième anniversaire de l'établissement du monastère sur la Meuse. Aujourd'hui, il reste de l'Abbaye défunte une bonne partie des bâtiments. Sa restauration, commencée au début du XXe siècle, se poursuit toujours de nos jours. Il reste également le souvenir d'une institution prestigieuse et bienfaisante à plus d'un titre, malgré les abus qui grèvent inévitablement toute œuvre humaine.


La Légende : Il y avait peu de temps, disait-on, que l'archange Michel était apparu au Mont-Gargan ; le monde catholique était encore émerveillé de cet événement surnaturel qui avait inspiré à Wulfoald le vœu secret d'élever un temple en son honneur. Jusque-là il avait été indécis sur l'emplacement à choisir, jusqu'à ce jour où parti en chasse accompagné de tout son train, dont faisait partie son aumônier porteur d'une relique acquise en Italie, la troupe joyeuse s'arrêta au milieu des bois pour dîner. Par respect pour sa relique et pour se trouver plus à l'aise, l'aumônier la suspendit à un arbre où les distractions du banquet la lui firent oublier. Ne s'étant aperçu de sa négligence qu'à son retour au château, il se hâta de regagner la salle du festin ; il y revit son trésor intact, mais hélas, à mesure qu'il lève le bras pour la reprendre, la branche se relève aussi hors de ses atteintes, si bien que force lui est d'y renoncer. Le récit de cette singularité commenté au château, a bientôt pris l'apparence d'un prodige. On se rend au lieu visité la veille, le comte lui-même accompagne son monde, et chacun est témoin du miracle qui ne laisse plus de doute sur la volonté de Dieu. Désormais il ne pouvait plus balancer, le saint lui-même intervenait pour assurer ce choix, ce devait être en ce lieu de prédilection, il s'y résolut donc et y passa la nuit en prière, et, au point du jour il put reprendre sans difficulté la précieuse relique, car la branche s'abaissa spontanément pour le lui permettre.

(Histoire de Saint-Mihiel - Charles Emmanuel Dumont 1860) 


La congrégation bénédictine de Saint-Vanne

Répondant aux préoccupations des Pères du concile de Trente (1545-1563), qui entendaient accentuer la centralisation des ordres religieux, la congrégation bénédictine de Saint-Vanne, érigée le 7 avril 1604 par le pape Clément VIII, fut de toutes les réformes monastiques lorraines la plus importante par sa durée (elle ne s'éteint qu'avec les décrets révolutionnaires du 13 février 1790), le nombre de ses maisons (53 lors de sa plus grande extension) et la qualité de ses membres.

Elle naquit de la volonté tenace d'un moine de l'abbaye verdunoise de Saint-Vanne, dom DIDIER DE LA COUR (1550-1623), qui entendait réagir contre les abus qui s'étaient insinués dans les cloître et rétablir dans sa rigueur originelle la règle de Saint-Benoît. Il reçut aussitôt l'appui du cardinal Charles II de Lorraine (1567-1607), fils du duc Charles III et évêque de Metz, promu par un Bref du page Grégoire XV (12 mai 1591) légat a latere dans les Trois-Évêchés et les duchés de Lorraine pour la réforme des monastères. Il put aussi compter sur l'esprit réformateur de l'évêque du lieu, Erric de Lorraine, également abbé commendataire des abbayes de Saint-Vanne de Verdun et de Saint-Hydulphe de Moyenmoutier. Les Jésuites, dont la spiritualité imprégnait dom Didier de La Cour depuis ses études à l'Université de Pont-à-Mousson, l'entourèrent efficacement de leurs conseils dans les débuts difficiles de la réforme vanniste. Le Saint-Siège enfin soutint pleinement l'oeuvre du réformateur en lui déléguant un auxiliaire, le Florentin dom Lucalberti, chargé de le seconder dans la visite des établissements à réformer.

Dom Didier de La Cour dut d'abord vaincre l'opposition résolue des religieux anciens installés dans leur vie relâchée et peu enclin à en charger. Puis il élabora des constitutions sur le modèle de celles de congrégation italienne de Sainte-Justine de Padoue. Le chapitre général annuel, composé du prieur de chaque monastère et d'un conventuel par maison élu par la communauté, détenait la réalité du pouvoir en désignant les supérieurs et en répartissant les religieux entre les monastères. Le système se caractérisait par une grande mobilité des moines et un fonctionnement démocratique. En 1741, une réforme instaura la triennalité des chapitres généraux, conférant à la congrégation une plus grande stabilité.



La congrégation s'étendit rapidement à la Lorraine, à la Franche-Comté et la plus grande partie de la Champagne, qui ne tardèrent pas à former trois provinces institutionnelles. À la mort de dom Didier de La Cour (1623), elle comptait 21 maisons (dont Saint-Mihiel, 1606, Senones 1618) groupant 250 religieux. Le succès vanniste fut tel que du collège de Cluny à Paris, de Limoges, du Poitou, de Normandie, on fit appel aux moines lorrains pour introduire la réforme en France. La congrégation de Saint-Vanne devait ainsi donner naissance à la congrégation de Saint-Maur (1621) et constituer le berceau de toute la réforme bénédictine qui se développa en France à l'aube du XVIIe siècle. Elle fut également à l'origine de la congrégation belge de La Présentation de Notre-Dame (1627) et de la réforme des monastères de Bavière et de Souabe. À la fin du XVIIe siècle, la congrégation comptait près de 600 religieux et, en 1789, 627, témoignant ainsi tout au long du XVIIe siècle d'une remarquable stabilité et résistant à l'esprit du temps, peu favorable à la vie claustrale.

La congrégation de Saint-Vanne connut au cours des deux siècles de son existence une vie intellectuelle particulièrement brillante. Très réceptives aux grands courants idéologiques : cartésianisme, jansénisme, richérisme, Lumières françaises et Aufklärung germanique, les abbayes vannistes, dotées de riches bibliothèques (Saint-Mihiel, Metz, Moyenmoutier, Senones), se distinguèrent dans les activités de l'esprit les plus diverses : controverse, exégèse, théologie, spiritualité, histoire, travaux scientifiques. De 1670 à 1720, les foyers les plus actifs furent des académies monastiques établies à Saint-Mihiel, les bénédictins lorrains, sous l'impulsion de dom Calmet, élargirent leur vie intellectuelle aux dimensions de l'Europe. Se constituèrent alors avec l'Italie, l'Empire germanique, les Pays-Bas autrichiens de denses réseaux de relations que vivifiaient correspondances, commerce de livres, échanges de cours et de religieux. Contemporaine des origines de la congrégation, cette tradition intellectuelle se perpétua jusqu'à la Révolution.




Latitude : N 48° 53' 18.826"

Longitude : E 5° 32' 27.771"

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